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“L’Aveu” : un enchantement littéraire

Helène KUTTNER 12 septembre 2025
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©-Francois-Vila

Lors d’un impromptu sur l’aveu de la Princesse de Clèves, un réalisateur réunit une autrice et un comédien, qui interpréteront Madame de Lafayette et son ami Monsieur de La Rochefoucault, mais aussi se dédoubleront en une multitude de personnages peuplant ce roman mondialement connu. Pour percer le mystère de cet aveu amoureux et de ce renoncement au monde, Claudine Fiévet, Jean-François Prévand et Jean-Luc Paliès s’amusent à faire vibrer cette langue sublime qui démultiplie les facettes de la passion amoureuse en révélant surtout la liberté d’une femme.

Une Princesse très convoitée

©-Francois-Vila

Il était une fois une jeune princesse, d’une beauté sublime, mariée à un prince beaucoup plus âgé qu’elle, Monsieur de Clèves, qui va bientôt lui reprocher son manque d’amour. La passion amoureuse, cette jeune beauté de 16 ans l’éprouve de manière totalement fantasmée pour Monsieur de Nemours, un séducteur avéré qui tombe également raide dingue de cette jeune princesse. Ce coup de foudre, quoique tenu secret, finit par s’ébruiter en provoquant de nombreux drames, dont la mort de Monsieur de Clèves, qui ne permet pas à sa jeune femme de vivre librement sa passion amoureuse. Au contraire, elle choisit de se couper du monde, rompant définitivement avec son amant qui l’attend. Par fidélité conjugale, par peur de la passion amoureuse, de l’inconstance des hommes ou pour rester une femme libre et consciente ? En tous cas, l’aveu de la Princesse, qui finit ensuite par rester cloitrée, n’a pas encore trouvé d’analyse définitive, et c’est tant mieux, continuant à faire couler beaucoup d’encre. Mais la langue, précieuse et sublime de Madame de Lafayette, suffit à agir comme un sortilège que le théâtre vient ici servir magnifiquement. 

Du théâtre dans le théâtre, pour faire du cinéma

©-Francois-Vila

Pour saisir la substantifique saveur du roman, Louise Doutreligne a imaginé un trio, formé par un réalisateur, un comédien et une autrice, qui jouent alternativement La Rochefoucault et sa meilleure amie Madame de La Fayette. Parfois, le réalisateur, joué par Jean-Luc Palies, leur demande de se transformer en personnages du roman, en train de vivre à travers les passages écrits. Autour des pupitres sont suspendues des étoles aux couleurs et textures diverses, soie vive ou mantille de dentelle noire, qui caractérisent le Prince de Clèves, le Duc de Nemours, l’austère mère de la Princesse de Clèves, alors que cette dernière n’apparaît que sur un écran, de dos, en robe blanche, le chignon délicat et blond posé sur sa nuque virginale. Dans cette somptueuse salle marquetée de bois où se joue cette histoire folle, seul un écran de cinéma déploie des images de la princesse, silhouette blonde dont on ne verra jamais le visage, au milieu des bals ou devant sa demeure de Coulommiers. Une bande son imprime des atmosphères musicales à ce mystère. Mais c’est avant tout l’interprétation vive, charnelle et enlevée des comédiens qui donnent une vie fabuleuse à ces fantômes de papier, qui nous sont aujourd’hui familiers.

Incarnation de la passion

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C’est Jean-Luc Paliès, le réalisateur du film, et par ailleurs metteur en scène du spectacle, qui ouvre le bal, casquette vissée sur la tête et sweat gris en coton, en sneakers. On n’est pas là pour faire un film en costume, lance-t-il à l’Autrice, qui se délecte à jouer le personnage de Madame de Lafayette écrivant son roman. En robe noire toute simple, Claudine Fiévet réalise une prestation de caméléon, passant d’un personnage à un autre avec fluidité et une diction parfaite. La mobilité plastique de son corps et de sa voix épouse les nombreux points de vue du roman et collent à la multiplicité des discours et des personnages. Elle est la jeune Princesse et sa mère puritaine en même temps, mais aussi une courtisane bavarde qui minaude à la cour. La parole de Lafayette et de Louise Doutreligne, les deux autrices, déploie ainsi un incessant jeu de pistes qui colle à l’incessante complexité des sentiments. Pas de morale ni de dogme dans cette histoire, juste une histoire de personnages qui expriment leurs doutes et leur choix. A ses côtés, Jean-François Prévand, digne époux ou séducteur pris à son propre piège amoureux, déploie une aisance remarquable. Quand la littérature parvient à s’incarner sur un plateau, tout en conservant sa part de fantasme et de mystère, le théâtre en sort gagnant et les spectateurs sont conquis.

Hélène Kuttner

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